Istanbul mai 2013 © Jordi Oliver |
Nos cher/ère frères et sœurs de Tunisie,
Il n’y a pas très longtemps, vous avez créé une étincelle dans votre
région qui s’est répandue partout rapidement, devenant le flambeau qui
guide non seulement votre pays, mais aussi beaucoup d’autres vers un
chemin où les régimes oppressifs ne sont plus tolérés. Cet essor a été
fait au nom de la démocratie, de la liberté et des droits dont vous
étiez privés. Vous avez été une inspiration et le monde vous a regardé
mener votre pays vers un demain plus humain, plus signifié et plus
libre.
Aujourd’hui, en Turquie, nous vivons des moments très importants,
marqués par la solidarité entre les gens qui se révoltent de manière
pacifiste contre un gouvernement oppressif. La police, en qui nous
faisons confiance, que nous appelons quand nous avons besoin d’aide, qui
a juré de nous protéger nous attaque avec des armes chimiques qui
brulent la chair, différents types de gaz qui nous empêche de respirer,
de l’eau à haute pression, des balles plastiques qui sont tirées
directement sur la tête des gens. Pourquoi ? Parce que nous avons agi
comme notre constitution nous permet d’agir : nous avons protesté.
Il y a cinq jours, les habitants du quartier de Taksim à Istanbul ont
commencé à protester contre un projet de construction d’un centre
multi-fonctionel au lieu du seul parc restant du quartier. Ils étaient
des écologistes qui voulaient simplement faire arrêter la construction
donc ils ont pris leurs tentes et commencé à y faire un camp. Un jour à 5
heures du matin, la police a lancé une opération et a pulvérisé les
gens avec le gaz poivre et l’eau à haute pression alors qu’ils dormaient
sous leur tentes.
Cette opération contre une simple manifestation qui se faisait en
paix a eu une importante réponse de toute la Turquie. Aujourd’hui, des
centaines de milliers de personnes sont venus à İstanbul, et il existe
des mouvements de résistance dans de nombreuses autres villes qui
dénoncent la violence de la police qui est complètement arbitraire et
qui va contre tout principe démocratique. La foule est devenue immense,
pourtant ils restent ensemble et calmes, ils s’avertissent les uns les
autres pour pouvoir rester calme aux moments de tension et pour éviter
tout acte de violence en dépit de l’utilisation disproportionnée de la
force de la part de la police. Du coup, aujourd’hui, nous sommes unis.
Aujourd’hui, nous ne nous battons plus. Aujourd’hui, nous résistons.
Chaque jour, il devient plus clair que nous sommes des pacifistes qui
n’essayent que de se protéger, tandis que la réponse de la police
devient de plus en plus brutale. Une recherche rapide apportera devant
vos yeux des milliers d’images atroces, des vidéos et des histoires
personnelles des manifestants. Vous verrez des images d’une fille seule,
battue et insultée par 10 policiers. Vous verrez les policiers jeter
les bombes de gaz dans des immeubles d’habitation et verrouiller les
portes afin que les gens ne puissent pas sortir. Vous verrez les
policiers pulvériser par les gaz des mosquées où les jeunes volontaires
réalisent les premiers secours pour sauver les blessés. Pourtant, cela
va vous montrer une solidarité qui n’a jamais été vu jusqu’à ce jour en
Turquie.
Nous sommes devenus un peuple qui se sent coupable quand il va se
coucher, quand il n’est pas dans les rues avec ses amis, à respirer le
gaz chimique constamment pulvérisé sur eux. Le soir, nous devenons des
chimistes, des pharmaciens, des infirmiers, des agents de renseignement
et des journalistes; et simplement des amis. Or, à travers la même
recherche, dans les rues vous verrez des gens se faire des boucliers
humains pour protéger des inconnus. Vous verrez des gens qui protègent
et se soutiennent les uns des autres par tous les moyens possibles.
Vous verrez les manifestants résister, main dans la main, pendant
toute la nuit et nettoyer les rues qui ont vu leur combat de la veille
pendant la journée – à nouveau main dans la main. Vous verrez un flux
irrépressible d’informations entre les manifestants à travers les médias
sociaux et les émetteurs-récepteurs, malgré les restrictions sur les
moyens de communication adoptées par le gouvernement pour nous empêcher
d’utiliser notre droit démocratique de citoyens dignes, pour protester
et se faire entendre.
Nos chaînes d’information opprimée par le gouvernement refusent de
montrer ce qui se déroule sous leurs yeux, c’est pour ça que vous voyez
les gens s’organiser pour que tout le monde soit au courant de cette
férocité à la fois en Anatolie et dans le monde entier. Cette violence
contre les générations qui sont l’avenir de notre beau pays n’est plus
tolérable. Nous ne sommes pas des terroristes, et nous refusons d’être
perçus comme tel.
Aujourd’hui, nous sommes unis. Aujourd’hui, nous sommes Un. Nous
refusons d’être associés à un parti politique ou une idéologie. Notre
idéologie est la liberté et la démocratie. Nous sommes des personnes de
tous âge, de toutes religions, de toutes minorités ethniques, de toutes
idéologies qui, épaule contre épaule, se révoltent contre un
gouvernement qui ne respecte pas les principes d’une véritable
démocratie.
Nous nous révoltons contre notre Premier ministre, qui a répondu à
nos appels en nous rappelant qu’il détenait 50% de la population de la
Turquie qui ont voté pour lui et s’il le veut, il pourra rassembler un
million de personnes pour aller dans la rue et se révolter contre nous.
C’est très dommage, car nous ne sommes pas contre une partie de notre
population; nous sommes contre la mentalité qui perçoit le pourcentage
de ses votes comme une source de légitimité pour ses actions
arbitraires. Or, ceci n’est pas comment une démocratie est définie; une
démocratie est polyphonique pendant et après les élections.
Nous nous révoltons donc contre ce même système dont chaque
communauté a souffert dans différentes périodes de l’Histoire de la
Turquie moderne; la communauté islamique, laïque, kurde, arménienne et
plusieurs autres. Nous revendiquons aujourd’hui, le droit d’être entendu
et respecté par le gouvernement qui a la fonction de nous protéger et
de nous rendre le droit de vivre comme des êtres humains dignes de
respect dans notre pays que nous aimons. Nous voulons que notre Premier
ministre arrête les forces de police et nous laisse nous exprimer. De
cette façon, il va voir que c’est ses propres jeunes qu’il est en train
d’attaquer et personne d’autre.
La raison pour laquelle nous vous écrivons cette lettre est que cette
semaine, notre Premier ministre Tayyip Erdoğan va visiter votre pays au
lieu de rester en Turquie et de régler la situation qui est arrivée au
point de causer les morts de nos amis. Cela nous indique que
malheureusement, il ignore tous ceux qui sont morts et blessés par suite
de l’application brutale de ses directives par les forces de la
sécurité. Cette lettre est notre cri, notre appel à vous, à nous aider, à
nous rejoindre dans notre protestation en vous-même protestant son
arrivée en Tunisie.
S’il vous plait, montrez-lui que nous ne sommes pas seuls.
Montrez-lui que les manifestants pacifiques et démocratiques gagnent
toujours, comme vous l’avez montré au monde entier.
Au nom de la paix, de la liberté et de l’expression.
Vos frères et sœurs en Turquie
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