Il était bien sûr possible de laisser sans réponse la nouvelle charge de Pascal Bruckner contre l’écologie (1).
Après tout, la pertinence de l’analyse de celui qui a soutenu la guerre
de George W. Bush en Irak, fondé une revue proche des thèses des
néoconservateurs américains et soutenu Nicolas Sarkozy est relative.
Mais, bien au-delà de son auteur, cette tribune s’inscrit dans une
offensive idéologique qui cible l’écologie. J’ai jugé qu’il était de ma
responsabilité de ne pas la laisser passer.
Cette offensive se
fonde en premier lieu sur une remise en cause des données scientifiques
en matière environnementale. Les écologistes noirciraient le tableau.
Cette ligne de communication n’est pas nouvelle. Elle est suivie
méthodiquement par les lobbys industriels quels que soient les sujets.
Les
groupes qui nient aujourd’hui le réchauffement climatique utilisent
les mêmes arguments que ceux qui niaient hier le caractère cancérigène
de la cigarette, de l’amiante, des particules diesel… Ce sont eux qui
sont dans la négation des résultats scientifiques. En matière de santé
publique, comme de lutte contre le changement climatique, les
écologistes ne demandent qu’une chose : que les analyses des
scientifiques soient enfin entendues. Il y a donc une contradiction
absolue, qui ne semble pas émouvoir notre philosophe, à faire l’éloge de
la science… tout en jetant aux oubliettes les conclusions des
scientifiques.
Le second argument réside dans le fait que les
écologistes seraient, par nature, opposés à tout progrès. Sans doute
Pascal Bruckner n’a jamais entendu parler de la vache folle, de
l’amiante, de Tchernobyl, de Fukushima, de l’augmentation du nombre de
cancers liés aux pesticides, chez les agriculteurs notamment… Ni lu
Rabelais pour qui, déjà, «science sans conscience n’est que ruine de l’âme».
L’obscurantisme est bien du côté de ceux qui croient aveuglément que
toute invention est bonne. Et la raison du côté de ceux qui veulent des
innovations utiles. Car l’écologie appelle bien une nouvelle révolution
qui porte en elle des myriades d’innovations qui demandent de
l’intelligence et de la science.
L’écologie serait aussi une
nouvelle austérité destinée à nous appauvrir. C’est au contraire la
condition de notre prospérité future. Toutes les études scientifiques -
oui scientifiques ! - montrent que le rythme des catastrophes naturelles
s’est accéléré, contrairement à ce que dit Bruckner. Et que ces
catastrophes deviennent de plus en plus coûteuses. Il va de soi que ce
coût supplémentaire pèsera sur notre richesse et que la meilleure façon
d’en réduire l’impact négatif est justement de mener des politiques
écologiques.
Par ailleurs, la France importe pour près de
70 milliards d’euros d’énergies fossiles contre 20 milliards il y a
dix ans. Ce sont ainsi 50 milliards d’euros en plus qui fuient la
France, constituant une véritable saignée sur notre économie. La
meilleure façon de garder cet argent à la maison, c’est bien de réduire
notre consommation d’énergie grâce à des politiques d’investissements
verts.
Au fond Pascal Bruckner rêve du monde d’hier, du monde de
sa jeunesse perdue, des années 70. Un rêve fait d’autoroutes et de
Concorde, un monde où l’énergie fossile était aussi inépuisable que bon
marché. Cette idée de progrès est morte, non pas du fait des
écologistes, mais parce qu’elle s’est heurtée, d’une part à la réalité
des limites physiques de notre planète, et d’autre part aux nouvelles
aspirations de la société.
La société française du XXIe siècle n’est plus celle des années 70 qui acceptait les 3 000 morts annuels de l’amiante ; la société française du XXIe siècle
n’est plus prête à sacrifier ses paysages et son environnement pour
exploiter des ressources fossiles incertaines. Le progrès aujourd’hui
n’est pas dans le toujours plus mais dans le vivre-mieux partagé.
En
ce sens, l’écologie est porteuse d’une nouvelle prospérité fondée sur
des inégalités réduites au sein de nos sociétés mais aussi entre pays du
Nord et du Sud. L’écologie est donc bien le contraire du prétendu
néocolonialisme dénoncé par notre grand philosophe. Sans doute n’a-t-il
pas lu les dernières études de la Banque mondiale, repère bien connu
d’écologistes radicaux, qui démontrent que la plus grande menace sur la
sécurité alimentaire et sur la mortalité des enfants dans les pays
pauvres, c’est le changement climatique. Lutter vraiment contre
le changement climatique est donc le plus grand service que nous
puissions rendre au 1,3 milliard d’êtres humains qui vivent avec moins
de 1 euro par jour.
Mais finalement, Pascal Bruckner croit-il
lui-même à ses propres caricatures ? Car il ne manque pas de rappeler,
au détour d’une phrase : «Qu’il faille s’acheminer vers un
développement compatible avec le respect de l’environnement, tout le
monde est d’accord là-dessus !» A la bonne heure ! Alors,
M. Bruckner, arrêtez de vous faire peur, arrêtez de chercher à nous
faire peur avec des arguments qui n’en sont pas, et venez travailler
avec nous à un monde meilleur, celui que nous voulons transmettre à nos
enfants. Vous proposer de nous rejoindre après tant de propos qui
dénoncent notre sectarisme est bien la meilleure preuve de notre
ouverture d’esprit !
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