Carte des régions en état d'alerte et des sites nucléaires menacés. (© AFP null)
Missiles et munitions déplacés en catastrophe de leurs sites de stockage, zones à risque nucléaire sous haute vigilance, flous sur d’éventuelles retombées radioactives… Les incendies qui dévastent depuis deux semaines l’ouest du territoire russe ont au moins permis de (re)mettre en lumière un élément que beaucoup avaient oublié : l’opacité de la Russie. Après discussion avec de hauts responsables de la sécurité militaire et nucléaire en France, force est de constater que personne n’a la garantie à 100% que ces feux ne finiront pas en drame absolu. Pour l’heure, trois risques ont été identifiés avec des degrés d’inquiétude plus ou moins grands.
L’impact sur des sites ou des arsenaux nucléaires
«Dans le domaine nucléaire, les Russes ont quand même une très grande maîtrise de la technologie et de la sûreté, ils savent ce qu’est une mesure de prévention», affirme Michel Brière, directeur général adjoint de l’IRSN, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. Vraiment ? L’accident de Tchernobyl en 1986 reste encore dans les mémoires… et surtout dans les sols. En France, toute installation nucléaire doit disposer de prescriptions précises en matière de prévention contre les risques naturels de type incendie (déboisement autour du site, équipe spécialisée sur place, etc.). «C’est très probablement le cas aussi en Russie», note Brière. Très probablement… Vendredi, 500 militaires abattaient frénétiquement la forêt autour du centre nucléaire de Sarov - à 500 kilomètres à l’est de Moscou, preuve que les mesures de prévention existantes ne sont pas optimales. «Sur ce centre-là, à la différence d’un réacteur de puissance, il n’y a pas d’énergie emmagasinée, c’est surtout un laboratoire, note Brière. Et la direction a annoncé que les matières radioactives avaient été évacuées.»
Une évacuation «très tardive», selon Jacky Bonnemains, président de l’association environnementale Robin des bois. «Cela suscite des inquiétudes sur les conditions d’évacuation et de stockage.» Et si les incendies atteignaient un site emmagasinant de l’énergie nucléaire ? «Il pourrait y avoir des pertes de confinement de certains locaux et une contamination localisée», note le responsable de l’IRSN, en se disant toutefois peu inquiet. «On surveille, on s’informe.» Avec quels moyens ? «Nos correspondants sur place, des scientifiques, mais personne qui soit dans la gestion directe de la crise.»
Quant aux armes elles-mêmes, «les Russes sont souvent inconscients, mais pas au point d’entreposer des missiles nucléaires ou classiques sous des hangars de tôle ondulée,affirme un expert militaire. Normalement, ceux-ci sont enterrés dans des silos bétonnés». Par ailleurs, la tête du missile est traditionnellement entreposée loin du dispositif d’initialisation de l’arme, ce qui limite les risques d’explosion. Au ministère de la Défense, à Paris, on se dit «attentif, mais pas stressé».
Les retombées radioactives
«Le souci, c’est la source diffuse de radioactivité en provenance des forêts et des tourbières impactées par les retombées radioactives de Tchernobyl, souligne Jacky Bonnemains. Ce sont des dépôts accumulés sur le sol, le couvert végétal, dans les couches superficielles. Avec les incendies, ils sont remis en mouvement et transportés en altitude par les cendres et les suies.» Il y a là du césium 137 et du strontium 90. Leur radioactivité décroît avec le temps, mais leur accumulation peut s’avérer «non négligeable, si elle retombe sur des cultures, par exemple», dit Robin des bois, qui demande une surveillance européenne. A l’IRSN, on se veut rassurant. «En 2002 déjà, on a vécu de gros feux dans cette zone. Nos dix stations françaises nous ont permis de mesurer une très faible contamination de l’air au-dessus de la France. Les niveaux de concentration en particules de césium sont si bas qu’ils ne peuvent engendrer une inquiétude sanitaire, même pour les intervenants sur les lieux de l’incendie», note Philippe Renaud, chef d’un labo d’expertise à l’IRSN, qui se félicite de disposer d’outils ultrafins (et très coûteux) qui prouvent là leur utilité.
La Chimie et les particules…
«Ce n’est pas tant le nucléaire qui m’inquiète que le chimique, note notre expert militaire. Ont-ils des dépôts secrets d’armes chimiques dans la zone ? Les Russes ont tellement de vieux stocks de merdes disséminés partout…» Sans compter les particules fines ou les émanations de dioxine ou de mercure que ces feux peuvent propager sur des centaines de kilomètres.
Libération par Guillaume Launay et Alexandra Schwartzbrod