mercredi 18 septembre 2013

"L'écologie est une machine à moderniser la pensée du PS."


Mais que s'est-il passé cet été ? Dans son bureau du 3e étage à Bercy, Arnaud Montebourg ne voit l'avenir qu'en vert. Le ministre du Redressement productif, bête noire des écolos pour ses positions pro-gaz de schiste et pro-nucléaire, n'a plus que la voiture propre et bon marché, le recyclage du plastique et les navires moins polluants à la bouche. C'est bien simple, calcule-t-il : sur ses 34 filières d'avenir pour réindustrialiser la France présentées ce 12 septembre, 16 sont à vocation écologique. "Ici on fait comme Monsieur Jourdain : de l'écologie sans le dire." Montebourg, nouveau chantre de la révolution verte ? "Je suis l'autre ministre de l'Ecologie !", dit-il désormais. De quoi donner le tournis...

Le rose n'a pas d'avenir sans le vert

Et pourtant, le troisième homme de la primaire socialiste n'est pas un bleu sur le sujet. Dès 2009, il enfile l'habit vert, avec passion comme toujours. Après le succès d'Europe Ecologie aux européennes et alors que son parti est dans les choux, il rêve à haute voix à la tribune du pôle écolo du PS réuni à Saint-Ciers-sur-Gironde d'un nouveau mouvement mariant socialisme et écologie. Le rose n'a pas d'avenir sans le vert, proclame-t-il : "L'écologie est une machine à moderniser la pensée du PS."
Mieux, dans son livre-programme, "Des idées et des rêves", paru fin 2010, il raconte son "cheminement" vers la mutation écologique, ses discussions avec Al Gore sur le réchauffement climatique dans le hall d'un hôtel parisien et son nouveau livre de chevet, "Prospérité sans croissance" de Tim Jackson. Une bible écolo. Pendant sa campagne, l'avocat ravit les Verts et gagne des suffrages dans leurs rangs en prenant ses distances avec le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

Désillusion

D'où leur désillusion lorsque Montebourg prend la tête d'un ministère dont l'intitulé sonne déjà comme un gros mot pour eux : redressement d'un côté, productif de l'autre... Horreur ! Vu d'EELV, le ministre qui qualifie le nucléaire de "filière d'avenir" et défend des "gaz de schiste écologiques" est un néo-chevènementiste sensible à tous les lobbys patronaux. L'homme du Minitel et du Concorde, du "made in vieille France" plutôt que des éoliennes et des panneaux solaires. "Quelque part, il m'inquiète", lâche l'été dernier le patron des sénateurs verts Jean-Vincent Placé, son plus fidèle contempteur. A l'Assemblée, ce n'est guère mieux : si le ministre rencontre très tôt les députés écolos, les relations se "biodégradent" vite. Au président du groupe EELV, François de Rugy, Montebourg lance même il y a plusieurs mois : "Mais, François, la fermeture de Fessenheim, on n'y arrivera pas. Ce n'est pas réaliste !"
Ces verts qui le ciblent, Montebourg les prend de haut. Pas question de s'abaisser aux polémiques de "caniveau", quitte à laisser s'installer son image d'anti-écolo. "Ces gens-là racontent n'importe quoi ! Ils font de la politique sur mon dos et ne s'intéressent pas au concret, balaye-t-il. J'ai toujours dit que j'étais un vert modéré. Il faut construire des compromis et ne pas verser dans le terrorisme intellectuel, le chantage ou les positions démagogiques." Transmis aux responsables EELV.

"L'écologie ne peut pas être une punition"

Seule initiative, discrète : à l'été 2012, il fait passer un message à Cécile Duflot : que le camarade Placé se calme ! Mais ne pas répliquer présente aussi l'avantage pour Montebourg, qui n'a pas épargné les dirigeants d'ArcelorMittal ou de Peugeot, de se poser en défenseur des patrons face aux affreux "Khmers verts". Son écologie concrète, il la construit avec les entreprises. "L'écologie ne peut pas être une punition de tous les jours contre l'industrie." C'est sa recette pour une transition écologique réussie.
Plus réussie, en tout cas, que chez nos voisins européens. "L'Espagne croule sous la dette. Et l'Allemagne ? C'est le retour au charbon, bravo !" Ainsi, ses 34 plans, affichés sur les murs de chacun des bureaux du ministère, poussent des produits innovants fabriqués par des entreprises françaises. Mieux, leur élaboration a été pilotée en sous-main par le grand cabinet de conseil américain McKinsey. Preuve que le héros de la "démondialisation" sait aussi s'appuyer sur des multinationales pour élaborer sa stratégie...
L'autre condition, selon lui, pour réussir l'alliance économie-écologie, c'est une énergie à bon marché qui permette aux entreprises de rester compétitives. D'où ses sorties sur le gaz de schiste et le nucléaire. Mais il jure qu'à chaque fois il a été mal compris. Non, il n'est pas pour la fracturation hydraulique - "Ca pollue irrémédiablement les sous-sols" - mais pour laisser les chercheurs travailler et trouver d'autres techniques non polluantes. "Où est le problème alors ?" Quant au nucléaire, c'est évidemment une filière d'avenir puisque la transition prendra au bas mot "cinquante ans". Mais l'ancien député de Saône-et-Loire estime surtout que l'atome est économe en gaz à effet de serre. "L'urgence, ce n'est pas le nucléaire, c'est le réchauffement climatique."

Dîner avec Cécile Duflot

A quelques semaines d'une grande loi sur la transition énergétique, Montebourg n'hésite pas à afficher son scepticisme à l'égard de ce qui est pourtant l'un des engagements majeurs de François Hollande : "Le défi est le suivant : comment tenir l'objectif de réduction à 50% du nucléaire dès 2025 sans faire exploser, comme cela s'est produit en Allemagne, les émissions de C02 ?" Pour lui, ni les économies d'énergie ni les énergies renouvelables ne suffiront, il faudra recourir au charbon. Le ministre se plaît d'ailleurs à rappeler qu'il avait voté lors d'un bureau national contre l'accord Verts-PS qui prévoyait cet engagement. Un ami décrypte : "Il y a un démon chez tout homme. Lui, c'est son territoire, la Saône-et-Loire, où s'est installé Areva, qui draine énormément d'emplois." Et dont l'ancienne patronne, Anne Lauvergeon, est devenue une interlocutrice privilégiée.
Sa nouvelle marinière verte sera-t-elle durable ? Au gouvernement, le ministre dîne désormais avec Cécile Duflot. A l'Elysée, il y a quinze jours, devant plusieurs ministres, il a défendu son propre mécanisme de taxe carbone permettant de frapper les produits importés aux frontières de l'Hexagone. Irréalisable, ont estimé les ministres écolos : "C'est du romantisme." Non, on est la France", leur a répondu le flamboyant Montebourg. Un proche, habitué à ses foucades, jure que ce verdissement n'est pas qu'un emballement passager de plus. "Arnaud, dit-il, a pris conscience qu'il devait investir le champ des énergies nouvelles. Ce n'est pas en accompagnant les plans sociaux dans l'industrie traditionnelle qu'il aura un bilan ministériel positif."
Julien Martin et Maël Thierry - Le Nouvel Observateur 

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