dimanche 17 juillet 2011

Applaudir les engins de mort?

La déclaration d’Eva Joly a fait l’effet d’une bombe. Le jour du 14 juillet, proposer de supprimer le défilé militaire, sujet totémique s’il en est, a suscité quantité de commentaires sur tout l’échiquier politique. Si les représentants de la droite et de l’extrême droite se sont déchaînés contre la candidate à l’élection présidentielle, rivalisant opportunément dans une surenchère de propos aussi odieux que malhonnêtes, ceux de la gauche n’ont malheureusement pas été en reste, poussant des cris d’orfraies devant tant d’irresponsabilité et dénonçant l’incongruité d’une telle proposition. Ces derniers montraient finalement, sur ce sujet sensible qui touche à l’armée et à la défense, une véritable connivence avec la droite.


Un jour, sans doute lointain…, on saluera les propos d’Eva Joly comme l’ouverture d’une véritable brèche dans le mur du militarisme français.


Car de quoi s’agit-il ? Il s’agit ni plus ni moins de dénoncer ce spectacle affligeant et déshonorant qui consiste à venir applaudir les derniers bijoux de la quincaillerie militaire. Ce ne sont pas seulement des hommes revêtus d’un uniforme et qui ont fait le « choix » de consacrer leur vie à l’institution militaire que le peuple est convié à saluer sur les Champs Elysées, mais ce sont des centaines d’engins de mort, des chars et des missiles, que notre pays se glorifie d’exporter aux quatre coins du monde pour le plus grand malheur des peuples du Sud qui n’en finissent plus de mourir. Existe-t-il spectacle plus indécent et plus immoral que cette pitoyable procession où la patrie ne serait grande que par la taille de ses missiles, la puissance de ses chars, la beauté de ses uniformes ? En réalité, il symbolise, plus que tout autre, la culture de la violence et de la guerre qui domine encore et toujours nos sociétés. A travers le culte rendu aux armes, y compris de destruction massive, nous perpétuons de générations en générations, l’idée que seules la violence et la guerre peuvent défendre la justice et la paix, alors qu’elles les bafouent toujours, partout, pour le malheur de notre fragile Humanité.« La musique qui marche au pas cela ne me regarde pas », chantait le poète. En réalité, cela nous concerne tous. Au plus haut point. Car marcher au pas, et qui plus est, venir admirer la marche au pas, n’est-ce pas le symbole de l’abdication des forces de la raison et de la conscience qui pensent, parfois contre la société qui dort ? N’est-ce pas le projet ultime des états totalitaires de soumettre la société et les citoyens à l’obéissance inconditionnelle, celle qui ne laisse aucune place à la divergence, à la dissidence et finalement à la résistance ? En quoi ce spectacle dégradant de l’humanité qui se renie a-t-il une quelconque place dans un pays qui prétend rester fidèle aux valeurs de la fraternité ? Notre incohérence conjuguée à notre arrogance éclate au grand jour. Et lorsque cela est dit, cela n’est pas compris. Seule la dénégation nauséabonde et l’insulte publique tiennent lieu de réponse. Oui, il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre raison.Le 14 juillet 1789, ce n’est pas l’armée qui a pris la Bastille, c’est le peuple qui a pris la Bastille à l’armée. C’est le peuple, les citoyens en insurrection, qui ont été les acteurs de la Révolution. Ce seul rappel historique devrait signifier toute la stupidité d’un défilé militaire que seule la France maintient en Europe, envers et contre tout, au nom d’une soi-disant unité nationale autour de son armée. Quelle armée ? Celle des conquêtes napoléoniennes ? celle qui tire contre le peuple insurgé à Paris en 1830 ? celle de la défaite de 1940 ? celle de la torture en Algérie ? Non, bien sûr, tout cela est oublié et renié. Il s’agit de l’armée qui a vaincu à Valmy en 1792, qui a défendu la République contre les forces coalisées des monarchies européennes. Pauvre pays, si sélectif dans sa mémoire, si peu ouvert aux autres, si imbus de son arrogance et si incohérent avec ses propres valeurs.


Alors bien sûr, on ne soutiendra pas l’idée d’un défilé les enfants des écoles le jour du 14 juillet... Certains ont cru voir dans la proposition d’Eva Joly une réminiscence des défilés patriotiques des citoyens « volontaires » dans les pays de l’Est sous le joug communiste. Comparaison fallacieuse qui en dit long sur le niveau de notre débat politique. Mais l’idée que ce jour là, nous revisitions ensemble les fondements de notre vivre ensemble sous la triple bannière de la Liberté, de l’Egalité et de la Fraternité, aurait infiniment plus de sens que de subir passivement une parade militaire d’un autre âge. La fête nationale, qu’il ne s’agit pas de remettre en cause, aurait les accents enthousiastes d’un pays qui veut encore être acteur de l’Histoire, ouvert aux défis du XXIème siècle. Qui ne succombe pas à la peur de l’avenir, mais qui le construit sans renier ses valeurs profondes.Ce pavé d’Eva Joly dans la mare des partisans de l’inconséquence naïve qui pourfendent si facilement les « hérétiques de la nation » et qui entendent faire la leçon aux « doux rêveurs » nous amène à préciser qu’ Europe Ecologie – Les Verts n’est pas un mouvement « pacifiste ». Le pacifisme est une maladie infantile de la non-violence, non-violence dont les écologistes se réclament. Le pacifisme dénonce avec raison les horreurs de la guerre et refuse également avec raison les moyens de la guerre, mais il ne propose rien pour combattre les injustices et les tyrannies. Il nous faut sortir des insuffisances du pacifisme pour entrer dans la dynamique et le réalisme de la non-violence qui résiste aux injustices, propose des alternatives crédibles à la guerre et construit durablement la paix dans la cohérence de la fin et des moyens.


Il s’agit de sortir de la culture de la violence dont le défilé militaire du 14 juillet est l’un des symboles visibles et médiatiques pour entrer dans une culture de la non-violence qui offre une nouvelle espérance aux générations futures. L’élection présidentielle de 2012 et la perspective d’un contrat de gouvernement entre les forces de gauche devront aussi mettre en débat un certain nombre de « certitudes » telles la dissuasion nucléaire et les ventes d’armes, autant de dogmes et de tabous sur lesquels la droite et la gauche se différencient si peu, et qui donnent une image de notre pays bien peu conforme à ses idéaux. Une politique de gauche sur les questions de défense est possible qui conjugue éthique et responsabilité. A condition de le vouloir.


Les écologistes doivent être l’aiguillon du parti socialiste sur ces thématiques. En ouvrant le débat et en l’alimentant d’analyses et de propositions constructives. Ce n’est pas seulement une question de morale, mais aussi d’efficacité politique et stratégique. Et « accessoirement » une exigence budgétaire et économique…
Le 16 juillet 2011
Par Alain Refalo

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