dimanche 9 décembre 2012

Il est urgent que les écologistes quittent le gouvernement!


Cher Harlem,
Dans la nuit du 6 au 7 mai dernier, tu étais aux côtés de François Hollande sur l’immense scène installée place de la Bastille. Tu as vu ces dizaines de milliers de Françaises et de Français dont l’enthousiasme était une demande : celle que les socialistes, revenus au pouvoir, parviennent enfin à changer la vie.
Cette nuit-là, j’ai fêté la victoire auprès de mes camarades dans le Nord. Mais déjà, je n’y croyais plus beaucoup… Est-ce parce que nous avions trop déçu les nôtres ?
Je suis entré au PS à l’âge de 17 ans. La figure tutélaire de François Mitterrand, le combat contre les forces de l’argent, les 110 propositions : jeune militant, je revendiquais fièrement cet héritage. Même lorsqu’il s’est éloigné de ses valeurs, j’ai continué de croire mon parti capable de rénovation. Grâce à la prise en compte des différentes sensibilités, l’écoute mutuelle, la camaraderie, il me semblait possible d’ancrer à gauche notre ligne politique.
J’ai la tristesse mais enfin la lucidité, après vingt-trois années de militantisme, dont neuf au sein de la direction nationale du PS, de constater que je me suis trompé. Désormais je comprends à quel point les dirigeants du Parti socialiste s’accommodent cyniquement d’avoir une aile gauche pesant en moyenne 15 % lors des scrutins internes. Benoît Hamon autrefois ou Emmanuel Maurel aujourd’hui ont juste permis de maintenir, en façade tout au moins, l’image d’un vrai parti de gauche. Tel est le rôle d’Arnaud Montebourg au gouvernement ; tel a été mon rôle dans le Nord. A un parti en pleine dérive idéologique, il fallait ses «idiots utiles».
Depuis mai, sous le regard d’une Bastille incrédule, qui avait tant besoin de retrouver la foi dans le progrès social, François Hollande et le gouvernement n’ont fait que reculer.
Te souviens-tu seulement du projet que nous avons porté ensemble ? Dès 2010, Benoît Hamon voulait substituer au mythe gentillet et creux de «l’égalité des chances» un retour à l’objectif historique de la gauche : l’égalité réelle. Pour ce faire, il proposait une batterie de mesures sociétales ambitieuses.
Bien qu’ayant refusé d’adhérer à ce catalogue de réformes lorsqu’il était candidat à la primaire, François Hollande en avait finalement repris plusieurs dans son programme présidentiel : le système d’attestations lors des contrôles d’identité, souvent vécus comme discriminatoires, l’encadrement strict des dépassements d’honoraires des médecins, le droit de vote des étrangers, la limitation des écarts de salaire de 1 à 20 dans les entreprises publiques. Sur chacun de ces sujets, le gouvernement Ayrault a soit renoncé, soit reporté les réformes sine die,soit affadi leur contenu jusqu’à les rendre inutiles.
La liste des reculades et des incohérences ne s’arrête malheureusement pas là : évocation d’une «liberté de conscience» pour les maires hostiles au mariage homosexuel, échec de la loi sur le logement social, retour déguisé de la TVA Sarkozy, abandon de la grande réforme fiscale…
Certains choix semblent traduire le reniement de nos convictions les plus profondes. Malgré le courage et l’obstination d’Aurélie Filippetti, le gouvernement a choisi de diminuer le budget de la Culture. Ce serait grave en temps normal ; c’est catastrophique en temps de crise, car je reste persuadé que l’Art est le premier outil de combat lorsque tout va mal.
La seule ligne directrice du gouvernement porte un nom : l’austérité. Elle porte aussi un chiffre, comme une prison intellectuelle : 3 %. Si nous en sommes là aujourd’hui, c’est par l’enchaînement d’une série de fautes que vous avez commises au sujet de l’Union européenne. Vous n’avez tiré aucun enseignement de la large victoire du non au traité constitutionnel européen de 2005. Pour moi, ce décalage entre les dirigeants et la base électorale du parti a été un premier motif d’interrogation et d’embarras.
Le second a été la promesse de renégocier le traité Merkel - Sarkozy. Et quelle renégociation ce fut ! Le président de la République a trouvé le prétexte d’un «pacte de croissance» inopérant pour se rallier - ni vu ni connu, pensait-il sûrement - à la «règle d’or».
Dans l’Europe que vous êtes en train de construire, ou dont vous acceptez passivement les règles du jeu, les Etats n’auront bientôt plus aucune marge de manœuvre. Et puisque les collectivités territoriales, privées de leur autonomie fiscale, vivent essentiellement de dotations de l’Etat, elles doivent à leur tour rogner sur leurs politiques, y compris celles qui relèvent de l’urgence.
Voilà pourquoi, président de la commission des finances du conseil régional Nord-Pas-de-Calais, je ne peux pas cautionner la poursuite annoncée des baisses de dotations d’Etat aux collectivités, après l’avoir dénoncée sans relâche pendant les cinq années du mandat de Nicolas Sarkozy.
Ayant renoncé à transformer l’économie, les socialistes pourraient encore se distinguer des libéraux et des conservateurs en s’intéressant à cette «France invisible» - celle que personne ne veut plus voir. Le PS a oublié les ouvriers. Mais pas seulement eux : les exclus de tout poil et les 11 millions de pauvres qui vivent en France ne comptent pas, ou si peu.
Il faut d’urgence prendre des mesures fortes et symboliques. En 1981, ce furent les 39 heures, la retraite à 60 ans, la cinquième semaine de congés payés, l’abolition de la peine de mort, les radios libres… Que propose le PS aujourd’hui ?
De deux choses l’une. Soit il n’y a qu’une seule politique à mener, que l’on soit de gauche ou de droite, et dans ce cas le PS s’est moqué des Français tout au long de la campagne électorale, tout entière axée autour de la promesse du changement («maintenant !»).
Ou alors une autre politique est possible. Dans ce cas, qu’attendez-vous pour changer de stratégie ? Pour engager un réel dialogue avec les partenaires de gauche et retrouver le «talisman» de l’union, auquel François Mitterrand n’avait jamais renoncé ? Oserez-vous faire ce choix, ou bien donnerez-vous raison à ceux qui ont vu dans la discrète réception d’élus du Modem à l’Elysée, il y a quelques jours, l’amorce d’un renversement d’alliance au profit du centre droit ?
J’ai le regret, cher Harlem, de quitter aujourd’hui le Parti socialiste. Je le fais avec une grande tristesse mais aussi, en optimiste obstiné, avec l’espoir que vous retrouverez un jour la voie de la raison et le courage d’être de gauche.

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