Des êtres complets (ARIANE VITALIS)
On disait d’eux qu’ils étaient des poètes. Pourtant, chaque jour, ils manageaient des dizaines de personnes avec une rigueur et une efficacité rares. Ils savaient prendre des décisions fermes et pragmatiques ; gérer des comptes complexes ; concevoir des stratégies et anticiper des situations. Ils savaient parler avec tact et diplomatie à des personnes dont l’univers comportait bien peu de poésie.
La nuit tombée, ils retiraient leurs vestes, s’asseyaient parterre et regardaient le ciel. La grandeur de l’Univers les fascinait. Ils avaient lus tous les livres, entendus tous les opéras, vus tous les films : ils savaient que la plus grande symphonie demeurait dans l’observation silencieuse. Complices, ils échangeaient quelques paroles et se taisaient à nouveau. Ils étaient.
Chaque matin, ils remettaient leurs plus beaux habits et accomplissaient avec conviction ce qui était leur travail. On disait souvent d’eux qu’ils étaient inspirants. Ils éprouvaient une amitié profonde et sincère pour toutes les personnes qui les entouraient.
Ils dînaient aux plus belles tables, parlaient des choses du monde avec sérieux et responsabilité ; et puis, le lendemain, ils étaient de nouveau des enfants avec leurs frères et sœurs de lait. Ils avaient huit ans, de nouveau. Ces frères et sœurs de lait étaient des anges pour eux. C’étaient leurs anges. C’étaient les êtres qui, depuis plus de vingt ans, étaient toujours là. Toujours là pour vous ouvrir la porte, pour vous aimer comme vous êtes, quoi que vous soyez devenus. Ils se regardaient dans les yeux, souriaient, grimaçaient grotesquement puis riaient soudain, et finissaient toujours par éclater de rire. C’était une douceur exquise de voir que, dans ce monde mouvant, quelque chose demeurait inébranlable. L’amitié de nos amis d’enfance.
Ils voyageaient. Ils rêvaient, s’évadaient dans leurs idéaux et dans leurs utopies. Émotifs, ils pleuraient un peu, par moments. Et puis, ils reprenaient leur travail ; fatigués parfois, mais toujours convaincus de l’absolue nécessité de leurs actions.
Un jour, un homme vint vers eux et leur dit : « Il y a quelque chose que je ne comprends pas chez vous. On dit de vous que vous êtes des poètes, des artistes, des créatifs… et pourtant, vous êtes aussi des gestionnaires, des administrateurs, des managers… n’y a-t-il pas un paradoxe ? »
Ils se tournaient l’un vers l’autre et se jetaient un regard complice. C’était une des choses dont ils étaient heureux. Ils étaient des poètes, des créatifs, des artistes ; mais ils étaient aussi des managers, des gestionnaires, des administrateurs. Ils étaient scientifiques et spirituels ; ils étaient des adultes et des enfants ; ils traînaient dans la boue et se réjouissaient des mondanités ; ils appréciaient avec autant de saveur les conversations qu’ils avaient avec des savants et celles qu’ils avaient avec les gens qui parlaient fort dans les bars, joyeux. Ils voyaient le monde dans son extrême diversité et ne voulaient pas passer à côté de cette richesse.
On disait d’eux, parfois, qu’ils étaient des êtres complets.
Complet : Qui comporte tous les éléments nécessaires, à quoi rien ne manque. (Larousse)
Complémentaire : Qui constitue un complément, qui vient s'ajouter à d'autres choses de même nature pour les compléter. (Larousse)
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