samedi 15 septembre 2012

La crise est une crise écologique

Nicolas Hulot et Patrick Jimena avant les Primaires de l'Ecologie à la Rochelle  © Alexis Boudaud
Dans quel état d'esprit abordez-vous cette conférence ?
A ce stade, constructif. Sans être ni naïf ni angélique, j'espère qu'au moins au sortir de ces deux jours, il y ait un certain nombre de mesures concrètes et structurantes qui puissent être prises. Et qu'il y ait une vision partagée par l'ensemble du gouvernement sur ce que la France peut faire en cinq ans et sur ce qu'elle peut porter dans la construction européenne sur ces sujets. Je suis vigilant, très lucide parce que je sais que la conversion écologique n'a pas opéré pour être très sincère ni à droite, ni à gauche. La conférence environnementale est une première initiative. Mais ce n'est pas en deux jours qu'on va se mettre en ordre de marche pour adapter notre modèle économique aux enjeux écologiques et énergétiques.
Justement, est-ce que la force de la crise peut freiner la transition énergétique ?
Sur le plan des consciences et des préoccupations, oui. D'ailleurs c'est déjà fait. La crise économique, qui n'est qu'une composante de la crise dans laquelle nous sommes, a donné une légitime occasion de dissimuler la crise écologique ou d'ajourner son traitement. Car il y a des urgences sociales réelles qui s'accumulent et on a le sentiment que la crise écologique peut attendre. En plus, on n'a pas le sentiment que la crise écologique occasionne des souffrances immédiatement palpables, ce qui est d'ailleurs est une erreur. Regardons les milliers de précaires énergétiques. On est dans la crise écologique mais on n'en a pas une perception très concrète. Pour autant, le paradoxe de cette crise écologique, c'est qu'elle peut nous donner une voie de sortie pour la crise économique et la crise sociale. Car elle nous oblige à refixer des priorités et à investir dans la transition écologique et énergétique, qui doit être un axe prioritaire pour créer un modèle économique durable. Ce qui n'est pas dans les tuyaux.
Deux sujets vont animer les débats : le nucléaire et le gaz de schistes. Quelle est votre position ?
Sur le nucléaire, il faut avoir un regard international et un regard national. Si on veut répondre aux besoins énergétiques de la planète avec le nucléaire, il faudrait construire une centrale tous les 15 jours pendant 50 ans. Ce n'est pas imaginable. Le nucléaire ne peut pas être la réponse. Pour ce qui est de la spécificité française, il y a un choix qui a été fait autrefois. Il faut que l'on trouve un compromis intelligent. Si on développe une politique drastique et cohérente d'efficacité énergétique, on va diminuer la consommation ; et si dans le même temps on développe un bouquet énergétique digne de ce nom (avec de l'argent dans la recherche pour faire évoluer les énergies renouvelables), il est normal que nous baissions la part du nucléaire. Après, chemin faisant, on décidera jusqu'où on peut aller dans la réduction du nucléaire, de façon pragmatique. La conférence de l'énergie en fin d'année pourra valider ce schéma. Aujourd'hui, on a le choix entre deux inacceptables : le nucléaire et les énergies fossiles. Ce sont deux contraintes très lourdes.
Et sur le gaz de schistes ?
Il ne faut pas bouger le moratoire et même l'étendre à l'exploitation de gisements pétroliers en haute mer et attendre le débat sur l'énergie pour que la société collectivement définisse et choisisse quelle est la stratégie énergétique de la France. Pour cela, il faut définir d'abord nos besoins en tenant compte que dans l'efficacité énergétique, on peut réduire notre demande.
Est-ce que le poids des lobbies est déterminant dans les résistances au changement ?
Il est monstrueux, on ne peut pas imaginer sur les semenciers, sur le nucléaire, sur le gaz de schistes. C'est le pot de fer contre le pot de terre. Prenez un seul exemple, le GIEC, le groupe d'experts sur le changement climatique. Il dispose à l'échelle mondiale de deux personnes pour se charger de sa communication. Regardez aux États-Unis les conservateurs qui, eux, disposent de structures juridiques avec des moyens quasi-ilimités pour jeter le discrédit et le doute sur le changement climatique. Et c'est partout pareil. Nous les ONG, à Bruxelles, avons du mal à mutualiser quelqu'un pour faire la veille et vous voyez toutes ces structures qui, à longueur de temps, font le siège de la commission européenne pour travestir la vérité et servir des intérêts particuliers. Il y a un problème de démocratie et on devrait s'en soucier.
Dans ce bras de fer, vaut-il mieux être politique ou associatif vous qui avez connu les deux ?
Cela dépend du profil des gens. Il y a des gens qui sont plus utiles dans la politique conventionnelle. Moi je fais de la politique d'une manière différente. Le rôle que j'ai est complémentaire. J'ai la possibilité de discuter avec tous les acteurs de la société quelle que soit leur appartenance politique ou sociale. C'est un rôle indispensable et irremplaçable. Car dès lors que vous rentrez dans un parti, vous vous privez de l'audience de tout le reste de la société. Et malheureusement, j'ai tenté de le faire parce que c'était important et que c'était un moyen d'action pour déclencher une étincelle dans la société. Pour des raisons sur lesquelles je n'ai pas envie de revenir, ça n'a pas marché. J'en tire des leçons et je reviens à mes anciennes modalités dont je m'aperçois en tout cas qu'elles ne sont pas totalement inutiles. Preuve en est d'ailleurs, c'est que la plupart des succès en matière d'écologie ces dernières années ont plutôt été obtenus du milieu associatif que du milieu politique.
La politique pour vous c'est vraiment fini ?
Pour l'instant, c'est pas mon logiciel. Je crois que la leçon a été suffisamment claire… Le problème ne vient pas des écolos politiques. On peut toujours critiquer leur manière de faire et il y aurait de quoi dire. Le problème vient des grandes formations politiques qui sont totalement indigentes sur ces sujets-là. A-t-on retenu de l'UMP ou du PS pendant la campagne présidentielle des propositions concrètes et structurantes sur l'écologie ? Aucune. C'est une irresponsabilité absolue de ne pas avoir travaillé en profondeur sur ces sujets. La crise écologique est la crise majeure qui pèse sur l'humanité et ignorer ce fait scientifique est une irresponsabilité historique. J'espère que cette conférence sera une ultime piqûre de rappel et que la gauche et la droite arrêteront leurs petites divisions stériles et usantes et se mobiliseront sur ces enjeux.
Nicolas Hulot
Président de la Fondation pour la nature et l'homme (propos recueillis par La dépêche du Midi)

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